MANIFESTE POUR UN ÉVÉNEMENT INCLUSIF

Nos associations, collectifs et mouvements défendent des principes de justice sociale et écologique, de solidarité et d’égalité. Pourtant, nos organisations et nos espaces ne sont pas exempts des dynamiques de pouvoir qui imprègnent la société dans son ensemble. La lutte pour une société plus juste, plus inclusive et plus égalitaire doit se refléter quotidiennement au sein de nos organisations et de nos espaces. Les événements militants clés, tels que les rencontres ECSA, si essentiels au renforcement de nos luttes communes, doivent être des espaces de confiance politique et de respect mutuel. Cela nécessite un travail conscient et actif, à la fois individuel et collectif, pour réfléchir à sa propre position sociale et pour être attentif aux dynamiques oppressives telles que :

 

RACISME,

SEXISME,

ABLEISME,

L’HÉTÉRO-NORMATIVITÉ,

LE GROSSISME OU LE PESANTEUR,

MÉPRIS DE CLASSE / CLASSISME,

L’ESPÈCE,

AGEISME.

 

Ces dynamiques de pouvoir sont systémiques et structurelles et se manifestent, consciemment ou non, par diverses formes de discrimination, d’exclusion et de violence sociale, verbale, physique et sexuelle. Elles sont intersectionnelles, ce qui signifie que la position sociale d’un individu à l’intersection de multiples dynamiques de pouvoir produit des expériences spécifiques. Les catégories qui en résultent (race, sexe, handicap, classe, espèce) sont des constructions sociales.

Nous avons une responsabilité politique individuelle et collective pour dénoncer ? les oppressions au sein d’un système capitaliste. Nous devons anticiper toute forme de domination et être prêts à agir si une personne a besoin d’aide, afin que cela ne reste pas une déclaration de principes.

 

IL NE SEMBLE PAS OPPORTUN DE PRÉTENDRE TRANSFORMER LA SOCIÉTÉ SANS S’ENGAGER DANS UN PROCESSUS DE TRANSFORMATION DE NOS PROPRES MODES D’ORGANISATION.

OPPRESSIONS, PARLONS-EN !

SEXISME :

 

Le sexisme est l’idéologie qui justifie le système patriarcal. Dans ce système, une distinction hiérarchique et binaire (opposition, altérisation) est faite entre la masculinité et la féminité. La masculinité est considérée comme supérieure et présentée comme la norme dominante implicite. Cette domination, qui est un continuum, s’exprime de multiples façons (langage, ambiances et violences sexistes et/ou sexuelles…) et se traduit notamment par l’exploitation et/ou l’appropriation des femmes, de leur corps et/ou de leur travail (sphère domestique…).

Exemple : faire des remarques non sollicitées sur l’apparence d’une femme.

 

VALIDISME :

 

érige les corps valides et la neurotypicité* en normes. Les handicaps moteurs, sensoriels, cognitifs, mentaux ou psychiques (catégories reconnues par la loi*) ont été présentés pendant des siècles comme une déficience ou une maladie. La tendance est alors à l’exclusion ou à la « réparation » des corps et des esprits considérés comme malades plutôt qu’à l’adaptation de la société à leurs spécificités. Cela consiste souvent à supposer que personne ne viendra à telle réunion ou manifestation en fauteuil roulant, qu’il faudra traduire en langue des signes (française), ou qu’il faudra des espaces calmes.

Exemples : utiliser des termes comme « schizophrène », « malade mental » comme une insulte, ou pousser le fauteuil roulant d’une personne sans son consentement (même si cela part d’une bonne intention).

 

HÉTÉROSÉXISME :

 

Dérivé du système hétéropatriarcal (ou hétéronormatif), il a longtemps entraîné la criminalisation des personnes LGBTQIA+*. Aujourd’hui, il se traduit encore par une très forte invisibilisation de leurs revendications et de leurs réalités, dans la culture populaire. Ce terme a été inventé pour mettre en lumière l’expérience des personnes qui ne se reconnaissent pas dans la norme hétérosexuelle imposée. Pour rappel, l’homosexualité n’a été dépénalisée en France qu’en 1982.

Exemple : utilisation d’insultes telles que « pédé » ou « queer » (même à l’encontre de ses adversaires).

 

DISCRIMINATION PAR LA TAILLE :

 

Génère des mauvais traitements (par le système de santé ou sur le marché du travail), souvent invisibles et apparemment acceptés et acceptables par la société. Il découle de l’établissement de la minceur comme norme sociétale. Elle croise le capacitisme, car les personnes en surpoids peuvent avoir besoin d’emprunter l’ascenseur plutôt que les escaliers, mais aussi le classisme. En effet, pendant longtemps, la rondeur était un signe de richesse, mais de nos jours, la minceur est devenue l’apanage des classes sociales supérieures (qui ont non seulement les moyens d’acheter des aliments sains et de qualité, mais accordent également une grande importance à leur apparence en tant que moyen visible de distinction). À l’inverse, les personnes en surpoids sont considérées comme négligeant leur santé et paresseuses (elles considèrent donc que la minceur est une question de volonté).

Exemples : faire une remarque sur la quantité de nourriture consommée par une personne ou lui suggérer de suivre un régime (même « pour sa santé »).

 

CLASSISME :

 

Dans le système capitaliste, le classisme peut s’exprimer sous de nombreuses formes : du mépris de classe à la discrimination pure et simple, basée sur les différences de revenus et d’éducation. Les personnes les plus instruites ont souvent une prédilection pour le travail politique (idéologique), tandis que les moins instruites sont souvent reléguées à des tâches logistiques (invisibles et moins reconnues). Par ailleurs, le fait d’opposer les 1% les plus riches et les multinationales aux 99% restants de la population tend à masquer les multiples dynamiques de pouvoir au sein de ce dernier groupe.

 

Exemples : dire « comme tout le monde le sait » en référence à quelque chose, sans donner le contexte (événements/penseurs) ou faire des remarques sur la correction de la langue ou l’orthographe.

 

TRANSPHOBIE :

 

Elle découle du binaire de genre (voir l’encadré sur le sexisme). Il s’agit d’un spectre d’hostilité envers la transidentité, qui peut être définie comme une identité de genre qui ne correspond pas à l’identité assignée à la naissance (≠ cisgenre). Toutes les personnes transgenres sont victimes de violences physiques et verbales. Cependant, toutes n’ont pas recours à la chirurgie de réassignation ou même à des traitements hormonaux (≠ transsexualité). Une personne peut se sentir non binaire et donc ne pas s’identifier à une identité de genre féminine ou masculine (d’où le préfixe « trans » qui renvoie à l’idée de mobilité sur ce spectre). Il peut être utile de s’habituer à s’identifier comme cisgenre lorsqu’on l’est, afin de déconstruire cette norme et de donner la possibilité à une personne transgenre de s’identifier comme telle, si elle le souhaite.

Exemple : Demander à une personne si elle a subi une opération chirurgicale ou s’adresser à elle en utilisant le mauvais pronom/nom (in)volontairement choisi (assigné à la naissance et non choisi par la personne = Misgendering).

 

RACISME :

 

Dans le système colonial et suprématiste blanc dont découle le racisme, une hiérarchie et une distinction sont établies entre les êtres humains, sur la base de leur phénotype ou de leur culture. La blancheur est socialement construite comme la norme dominante (implicitement ou explicitement) et par opposition à laquelle le reste de la population mondiale est défini (othering). Cette domination – qui constitue un continuum, à travers des systèmes discriminatoires, esclavagistes et violents passés ou présents – s’exprime de multiples façons (langage, discrimination à l’emploi, au logement, à la santé…). Elle se traduit notamment par la jouissance de privilèges par les Blancs ainsi que par la criminalisation des non-Blancs, considérés comme des menaces pour la sécurité physique et matérielle des Blancs.

Exemples : Demander à une personne non blanche d’où elle vient, en supposant qu’elle vient d’un pays étranger. Faire des commentaires désobligeants, voire hostiles, sur le voile d’une femme musulmane (il s’agit d’une agression islamophobe) ou toucher les cheveux d’une personne noire sans son consentement (il s’agit d’une agression raciste).

 

SPÉCISME :

 

Dans un système spéciste, les intérêts des animaux non humains sont négligés et le processus d’aliénation est basé sur le critère de l’espèce. Une hiérarchie entre les espèces est établie, plaçant l’homme au sommet. Un statut supérieur est attribué aux êtres humains, ce qui justifie idéologiquement l’exploitation des autres espèces.

Exemple : Assimiler un comportement jugé dégoûtant/dégradant en le comparant à un animal : « tu manges comme un cochon » ; « quel cochon il fait ».

 

AGISME :

 

L’âgisme est une discrimination exercée à l’encontre de personnes légalement mineures et jeunes ou de personnes perçues comme âgées. L’âge étant une construction sociale, il interagit avec d’autres types d’oppression. Ainsi, le sexe peut accélérer ou ralentir le processus de vieillissement (une femme vieillit socialement plus vite qu’un homme). Les opinions et les déclarations des enfants, des jeunes ou des personnes âgées sont souvent ignorées et leurs intérêts sont moins pris en considération. Leur capacité d’action est limitée et leur consentement est trop souvent négligé.

Exemple : Invalider la déclaration d’une personne en commençant par « si tu étais militant depuis aussi longtemps que moi… ».

(*) L’acronyme LGBTQIA+ regroupe les personnes bisexuelles, transgenres, lesbiennes, gays, intersexuées, asexuelles/agénaires, ainsi que les personnes en questionnement ou queer, selon le contexte. Le terme queer (de l’anglais « strange » ; le stigmate a été récupéré par les personnes concernées) englobe toutes les personnes qui se sentent appartenir à cette communauté. Le « + » permet d’inclure toutes les identités et laisse la porte ouverte à l’émergence de nouvelles identités politiques. Aujourd’hui encore, les revendications LGBTQIA+ sont facilement qualifiées de « communautarisme », un terme péjoratif qui ignore le fait que la communauté et l’activisme communautaire peuvent être un refuge et une base pour l’organisation politique.

(*) La neurotypicité fait référence à un fonctionnement neurologique considéré comme conforme à la norme. À l’inverse, la neurodivergence fait référence à une condition neurologique (par exemple, l’autisme, les troubles dys, le TDAH…).

(*) 11 février 2005, loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

La liste ci-dessus n’est évidemment pas exhaustive. Ces définitions et exemples de comportements oppressifs ont surtout pour but de mettre en évidence les logiques d’oppression, dont certaines sont similaires (sans jamais pouvoir être comparées).

LE MANIFESTE

Ce travail, initié en 2021, a permis de discuter de la reproduction des oppressions dans les milieux militants et de la difficulté de construire des espaces inclusifs où la confiance peut s’épanouir. Il a ainsi permis d’alimenter la réflexion sur les outils à mettre en œuvre pour lutter contre les oppressions en cohérence avec nos principes et valeurs politiques. L’un de ces outils consiste à s’assurer que les personnes qui souffrent de la même oppression systémique puissent trouver des espaces et des moments dédiés afin de partager leurs expériences et de s’organiser. Le groupe initial de militants bénévoles a été formé par l’association d’éducation populaire « déCONSTRUIRE » et sa formatrice et chercheuse indépendante Aurélia Décordé-Gonzales, pour construire une culture commune et accompagner un groupe plus large de bénévoles dans leurs missions de résolution de conflits et de lutte contre les oppressions tout au long des événements de l’Université d’été des solidarités et des mouvements sociaux, selon un protocole établi pour l’occasion. Un groupe de travail s’est reformé en 2023 pour travailler sur les conditions d’inclusivité et de confiance de l’Université d’été française qui s’est déroulée à Bobigny, pour mettre à jour le manifeste et le protocole d’intervention, et pour suivre une formation dédiée délivrée par le même formateur.

ORGANISATION SUR PLACE

PRÉVENTION

Le préalable à la lutte contre les oppressions est la volonté partagée de construire un espace de confiance, de respect mutuel et de sécurité, ce qui implique de reconnaître l’existence de dynamiques de pouvoir structurelles et systémiques et les responsabilités individuelles et collectives que nous avons pour prévenir autant que possible les violences qu’elles engendrent. La prévention de ces oppressions, quelles qu’elles soient, est l’objet de ce manifeste, conçu comme un protocole soutenant les efforts de l’équipe de volontaires à laquelle des actions violentes pourront être rapportées et qui devra y apporter des réponses. Les bénévoles de l’équipe anti-oppression/équipe de soins sont disponibles au guichet d’information, et des ressources complémentaires à ce manifeste y sont également mises à disposition. En outre, des espaces autogérés réservés aux femmes et aux minorités raciales, ainsi qu’une salle de repos, sont également disponibles à l’extérieur [ou dans des salles spécifiques].

EN CAS DE VIOLENCE ET D'OPPRESSION

Il est possible de réagir ! Tout au long de l’ECSA, des équipes de prise en charge sont constituées et prêtes à :

– accueillir, en écoutant les besoins de la personne qui a subi un ou plusieurs comportements oppressifs,

– soutenir, en initiant si nécessaire un dialogue avec la personne qui a commis ces comportements, et

– intervenir, selon un protocole préalablement établi.

En fonction de la gravité de la situation, une exclusion temporaire ou définitive de la personne ayant commis l’agression sera étudiée et mise en œuvre. L’exclusion sera utilisée en dernier recours. En effet, il ne s’agit pas d’un outil de réparation mais il peut s’avérer indispensable pour assurer la sécurité de la personne qui a subi les comportements oppressifs.

RAPPEL JURIDIQUE

COMPORTEMENT SEXISTE : Tout comportement lié au sexe d’une personne ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

HARCÈLEMENT SEXUEL – Caractérisé par l’imposition à une personne de toute forme de pression grave (répétée ou non), de propos ou de comportements dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte sexuel (au profit de l’auteur ou d’un tiers) ; qui portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

AGRESSION SEXUELLE – Toute infraction sexuelle sans pénétration commise à l’encontre d’une victime avec violence, contrainte ou menace. Zones corporelles concernées : bouche, poitrine, cuisses, fesses, organes génitaux.

VIOL – Acte de pénétration sexuelle : vaginale, anale ou orale (par le sexe/doigt de l’auteur ou un objet…) ; commis sur une victime avec violence, contrainte, menace, voire surprise (s’il se produit alors que la victime se trouve dans un contexte qui ne lui permet pas d’avoir des soupçons). La violence physique n’est donc pas nécessaire.

 

Ces trois actes sont passibles de poursuites et de sanctions pénales. Cependant, les mouvements féministes se mobilisent pour faire évoluer leurs définitions juridiques. Ainsi, il est préférable de considérer que le viol est tout acte de pénétration sexuelle commis sans le consentement explicite de la victime.

Grâce à un long travail féministe, la loi définit aujourd’hui précisément les violences sexistes et sexuelles. Dans les espaces militants, il convient de raisonner par analogie et de considérer que si l’on peut définir les comportements sexistes, il est possible de définir les comportements racistes, capacitistes, etc.

Pour faire exister le droit à la différence, les milieux militants (et pas seulement) doivent cesser de faire taire la voix des minorités, sous prétexte qu’elle n’est pas un sujet suffisamment légitime, qu’il s’agit d’une lutte secondaire, ou que les victoires récentes suffisent pour vivre librement.